Portrait officiel raté du Président Hollande par Raymond Depardon

Moi, Raymond, demande Pardon.

"Je le reconnais, j'ai raté le portrait officiel du Président de la République ; j'en demande Pardon."
Telle pourrait, ou devrait être sa confession.

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Moi, Raymond, demande Pardon pour avoir déformé le Président. En effet, la photo que j'ai choisie parmi plus de 200 clichés, c'est bien celle-ci, où le Président a entre autres un bras plus long que l'autre, une main plus grosse que l'autre, une tête, des jambes et un buste aux drôles de proportions. C'est du au cadrage "grand angle" que j'affectionne pour saisir les scènes de vie, mais qui me fut bien ingrat ici.

Moi, Raymond, demande Pardon pour n'avoir pas su correctement traduire en image mon unique bonne idée : celle d'un Président en mouvement. En effet, bien que je lui ai fait faire d'innombrables allers-retours 1/2 heure durant, au final je concède volontiers que visiblement - et sans parler là de balai mal placé - le résultat est des plus figés.

Moi, Raymond, demande Pardon pour avoir altéré le drapeau - dit tricolore - flottant à l'arrière-plan. En effet, je ne saurais dire si c'était voulu ou juste oublié, toujours est-il que je n'ai pas trop opéré sur la forte surexposition de l'Elysée, à tel point que seules sont discernables les composantes rouge et blanc (Rot un Wiss ...s'Elsàss unsri Kràft!), alors que le mât est effacé tout bonnement.

Moi, Raymond, demande (encore) Pardon pour le drapeau. Et oui... il est orienté à l'envers. Mais bon, le grand angle l'a rendu si petit que vous serez peu nombreux à vous en être aperçu. Et de toute façon, à mes images, on ne touche ni ne retouche, car je suis un intégriste de l'argentique, ou disons plutôt : de "l'instant authentique" ; photoshop et consorts, c'est pour les jeunes mentors et les vilains menteurs, ceux qui ont du temps à perdre sur l'ordinateur.

Moi, Raymond, demande Pardon pour avoir donné l'impression d'un grossier détourage-collage... sous photoshop. En effet, j'ai partout revendiqué un éclairage naturel, puisque c'est ma marque de fabrique... Le hic c'est qu'en milieu de matinée au soleil la lumière était trop dure et trop haute, alors on est allé à l'ombre ; mais du coup à l'ombre, ça contrastait sacrément avec l'arrière-plan ; alors je me suis dis zut! au diable la démesure! Et donc je me suis servi d'un réflecteur latéral à droite - sans aucun effet notoire - et surtout, comme vous le voyez sur les photos backstage (vous savez, celles qui me rapportent indirectement les sous qu'en grand seigneur j'ai refusé avec les droits d'auteur), j'ai fait installer, en toute simplicité, un gigantesque panneau lumineux (des dizaines de milliers de watts), comme on en utilise pour les stars dans les scènes de cinéma.

Moi, Raymond, demande Pardon pour avoir négligé l'élément phare de tout portrait, à savoir le regard. En observant le tirage, ou en zoomant ici au niveau du visage, je vous enseigne l'art de créer un malaise en sacrifiant les yeux par un éclairage à l'anglaise ; voyez l'oeil droit, comme il est pétillant et clair, tandis que pour le gauche, c'est tout le contraire...

Moi, Raymond, demande Pardon pour avoir cadré les bâches qui pendent sur la façade de la salle des fêtes. En effet, euh... bah j'ai juste pas fait gaffe! Mais à y repenser, j'en fait ma fierté, et je me dis que ça rattrape un peu le coup du drapeau, non?

Moi, Raymond, demande Pardon pour avoir utilisé 3 appareils tous différents, tous obsolètes, tous amateurs. En effet, rares sont les professionnels qui utilisent un Canon 5D, je le sais dorénavant, puisque sur un mouvement ses collimateurs sont inadaptés. Quant au Leica - à défaut d'avoir un Hasselblad moyen format numérique (comme tout auteur d'anaphore satirique) - j'avoue... je l'ai un peu sorti pour la frime, parce que je savais que les médias en parleraient pour entretenir son "mythe", mon mythe. Quant au Rolleiflex, qui date de 1960 - dix-neuf cent soixante! - c'était un pari sur la nostalgie de la photographie argentique, avec tout ce que son puissant côté aléatoire revêt d'impalpable et de magique...
J'comprends pas... j'avais pourtant mitraillé comme un dingue, sans succès hélas, car sur les 208 premières photos faites, aucune ne me semblait chouette. Alors j'ai dégainé mon arme secrète, ce bon vieux Rolleiflex, histoire de me mettre un tantinet la pression avec sa pellicule de 12 poses, et pas une de plus. Et là devinez quoi!? Eh bien c'est la douzième, la toute, toute dernière qui fut la "bonne" - enfin, disons plutôt: celle qui est devenue l'Officielle.

...bon d'accord : moi, Raymond, je l'admets! j'avais la flemme de charger une seconde bobine. Quand ça veut pas, ça veut pas, et BASTA.


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